Alain Montcouquiol



Durant les nombreuses années où j’accompagnais Christian de ville en ville, de pays en pays, il me venait parfois des bouffées d’angoisse à l’idée qu’un toro pouvait blesser mon frère, le briser ou le tuer… Ces crises atteignaient leur paroxysme lorsque je finissais par croire qu’elles étaient des prémonitions, les signes annonciateurs du drame redouté.
Avec le temps, j’avais appris à lutter contre ma peur, en imaginant puis en perfectionnant le même scénario rassurant… C’était le jour de la dernière corrida de Christian, il venait de tuer le dernier toro de sa vie de torero et se tenait droit au milieu de la piste, ému, les yeux levés vers le public qui l’ovationnait. J’allais à sa rencontre, je l’embrassais puis, je me plaçais derrière lui, et avec de petits ciseaux très tranchants, je coupais sur sa nuque la mèche de cheveux où était fixée sa “ coleta ”, la petite tresse noire, symbole de son étrange profession. Je la glissais dans sa main… Ce n’était là, que la scène classique des adieux à l’arène de tous les toreros. Mais dans mon rêve éveillé, je lui soufflais aussi à l’oreille : “ Félicitations, petit frère ! Tu pourrais peut-être jeter ta coleta le plus haut possible vers les gradins, l’offrir au public qui t’a fait torero… Christian souriait. Mon rêve s’arrêtait avec le vol courbe de l’objet noir, juste avant qu’il ne soit happé par les mains des spectateurs qui se tendaient pour s’en saisir. C’était suffisamment beau pour me calmer… Mais, rien de ce scénario idéal ne se réalisa et seuls mes cauchemars eurent raison.
Blessé, handicapé, Christian avait fini par mettre fin à ses jours et moi j’avais écrit, dans une autre angoisse, un morceau de notre histoire…un livre.
A l’instant, même où j’appris que Philippe Caubère souhaitait réaliser un hommage à Nimeño avec des extraits de ces textes, le rêve de la coleta m’était curieusement revenu… Je compris plus tard qu’il n’y avait rien de mystérieux, ni d’irrationnel dans cette pensée fulgurante. Quelque part, Philippe Caubère accomplissait le geste en lançant vers le public, non pas la coleta de Christian, mais l’histoire du temps de sa vie et de sa passion.
Je lui suis reconnaissant d’avoir eu le courage d’ouvrir ainsi son cœur. Merci Philippe d’avoir pris la parole…

Alain Montcouquiol
Juillet 2002